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Ce que la ségrégation scolaire doit à l’administration de l’Éducation Nationale

article paru dans la Revue Française de Pédagogie n°148 de juillet-août-septembre 2004

Enregistrer au format PDF  Version imprimable de cet article Version imprimablelundi 21 octobre 2013, par Denis LAFORGUE

Cet article analyse comment les administrations scolaires déconcentrées (Inspection Académique et Rectorat) peuvent contribuer à la production de ségrégation scolaire, malgré le principe d’égalité des chances promu par le système éducatif français. L’enquête ethnographique établit que les décisions administratives en matière de carte scolaire et d’affectation des élèves visent à s’assurer la loyauté des usagers les plus mobilisés scolairement, à limiter le coût éducatif et à préserver les ressources humaines et matérielles de l’institution scolaire. Ce faisant, les responsables administratifs délaissent l’instauration d’une mixité scolaire dans l’ensemble des établissements.

extrait de l’article

Conclusion :

« Sans occulter le rôle des établissements et des familles dans la (re-)production des phénomènes de ségrégation scolaire, l’enquête présentée établit que les pratiques des administrations scolaires déconcentrées peuvent avoir des effets sur le degré de mixité scolaire des établissements. En particulier, les membres du Rectorat et de l’Inspection Académique prennent des décisions, relatives à l’offre de formation et à la sectorisation des établissements, ayant manifestement des effets ségrégatifs. De plus, ils ne régulent que faiblement, lors de l’affectation des élèves, les stratégies des familles et des établissements.

Les administrations scolaires étudiées se caractérisent donc par leur laisser-faire en matière de lutte contre la ségrégation scolaire. Rendre compte de ce laisser-faire nécessite de prendre ses distances avec deux visions classiques de l’administration d’État : une vision qui la considère comme une institution toute-puissante capable de normaliser les individus (Bourdieu, 1994) et une autre vision qui ne voit en elle qu’impuissance face à des logiques sociales externes (Dupuy et Thoenig, 1983). Notre enquête conclut plutôt à une ambivalence de l’administration scolaire et de ses actions.

Certes, les pratiques administratives observées nous conduisent à prendre au sérieux les hypothèses de P. Grémion (1976), insistant sur la « faiblesse publique » de l’administration d’État locale. Rectorat et Inspection Académique prennent des décisions de manière à s’assurer la loyauté des familles socialement et scolairement favorisées. Ce faisant, les responsables administratifs contribuent à la production de contextes scolaires ségrégués. De ce point de vue, l’administration scolaire apparaît bien comme une « institution fragile » : le laisser-faire de l’administration, et les effets pervers qui en découlent, sont liés à la difficulté que rencontrent ses acteurs, face à un environnement social résistant, à traduire dans les contextes scolaires une version forte du principe d’égalité des chances.

Mais notre enquête montre aussi que les enjeux de l’administration scolaire ne se réduisent pas à des logiques externes à l’institution scolaire. La production de ségrégation par l’administration tient aussi au fait qu’elle se focalise sur des enjeux de gestion des structures et des personnels. En effet, au niveau des territoires éducatifs étudiés, la volonté de limiter le coût éducatif et de sauver des lycées a conduit l’administration à autoriser ces derniers à recruter de bons élèves d’autres bassins, en leur assurant une sectorisation favorable et un monopole local sur des options de seconde généralistes. Ces différents enjeux ont été réalisés au détriment de la mixité scolaire d’autres établissements. L’administration scolaire est donc tout à fait en mesure de réaliser des enjeux propres et en cela elle apparaît comme une « institution » forte capable d’imposer sa rationalité gestionnaire à certaines catégories d’usagers (Habermas, 1987). »

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