Extraits
"Le recours aux statistiques ethniques n’est pas jugé contraire au principe d’égalité pour de nombreux États occidentaux, tels que la Grande-Bretagne, les États du Nord de l’Europe, du Nord de l’Amérique, qui utilisent largement, et depuis plus d’un siècle pour certains, cet outil pour mettre en œuvre des politiques publiques de réduction des inégalités à l’égard des minorités. Il en va différemment en France, où la conception républicaine du principe d’égalité constitue le principal obstacle au recours aux statistiques ethniques. Cependant, « l’intérêt public » motive une dérogation à la loi Informatique et liberté de 1978 qui énonce une interdiction de principe sur le traitement statistique des données sensibles (David, 2011).
C’est le cas en Nouvelle-Calédonie, où les neuf recensements effectués sur le territoire depuis la seconde guerre mondiale (sauf celui de 2004) ont tous identifié la communauté d’appartenance. La nature des informations contenues dans les recensements de la population calédonienne permet donc un traitement tout à fait original dans l’espace républicain français. En effet, si dans les pays anglo-saxons, les études mesurant l’évolution des inégalités ethniques sont nombreuses, en France, du fait de la limitation de l’utilisation des données ethniques, cette dimension est presque toujours absente des études.
La situation de la Nouvelle-Calédonie se distingue de celle de la France et de la plupart des pays occidentaux en ce que les ethnies discriminées ne sont pas celles issues de l’immigration. C’est bien du contraire qu’il s’agit : la Nouvelle-Calédonie a été une terre d’immigration (colonisation de peuplement) mais les inégalités observées existent à l’avantage des immigrants et au détriment du peuple autochtone. C’est en cela qu’elle se rapproche de ses voisins anglo-saxons de la région (Australie et Nouvelle-Zélande). Cependant, le groupe discriminé ici n’est pas un « groupe minoritaire » ; les Kanaks représentent 40 % de la population calédonienne en 2009."
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"Cette étude a permis de mettre en évidence tant la réduction des inégalités ethniques devant l’école en Nouvelle-Calédonie, depuis vingt ans, que leur persistance.
Les résultats montrent que plus on procède à une analyse désagrégée plus les inégalités sont marquées. Le calcul de rapports de chances relatives montre que les écarts entre les communautés augmentent aux extrêmes de la distribution des diplômes (pas de diplôme d’une part et diplômes du supérieur d’autre part). Conséquence directe des inégalités dans l’acquisition des diplômes, en 2009, on observe que 66 % des non-Kanaks de 15-64 ans ont un emploi, contre 45 % des Kanaks.
L’échec de l’égalité des chances de l’école calédonienne : constat et tentatives d’explications
L’école calédonienne, en calquant le modèle de l’école française, construit une inégalité de fait quant à la réussite scolaire et par conséquent la réussite sociale et professionnelle des autochtones.
On retrouve le fonctionnement développé en 1863 par le Gouverneur Guillain : l’enseignement général pour les Européens et l’enseignement professionnel pour les Kanaks et les Océaniens.
On est donc amené à conclure que, même si le système peut se réclamer d’une élévation du niveau de diplôme, donc d’une démocratisation de l’école, les résultats selon le type de diplôme acquis révèlent que les Kanaks n’ont pas les mêmes chances de réussite, d’insertion sociale et professionnelle.
Ainsi, le fonctionnement de l’école calédonienne, reproduction in extenso de celui de l’école française, implique que les jeunes Kanaks sont, dans la grande majorité, orientés vers les séries technologiques et professionnelles dès la sortie du collège."