Parce que la laïcité est un sujet récurrent, élément important de clivages idéologiques qui rendent sensibles les débats sur cette question (voir la polémique de décembre 2013 autour de deux phrases extraites du rapport sur l’intégration de Fabrice Dhume et Khalid Hamdani - Vers une politique française de l’égalité-), il apparaît nécessaire de clarifier la façon dont s’est façonnée la laïcité « à la française », ses fondements historiques et juridiques, et de tenter de comprendre ce qui génère autant de crispations et d’antagonismes lorsque cette notion est interrogée.
Car la laïcité, loin d’être un dogme figé dans le marbre, est une notion, un principe dont la construction s’est opérée sur du (très) long terme et dont les acceptions ont varié dans le temps et varient encore aujourd’hui au gré des personnes et de l’interprétation qu’ils en font. Car il est beaucoup question d’interprétation lorsque l’on évoque la laïcité dont le cadre juridique n’est finalement que très partiellement fixé.
Cet état de fait implique l’absence de cadre clair précisant ce que l’on peut tolérer au sein de l’école laïque, ce qui peut ou doit être considéré comme une atteinte à la laïcité et par conséquent, les réponses que l’on peut y apporter si tant est que des solutions toutes faites, transposables dans des contextes sociaux différents, puissent exister.
En avril 2012, en pleine élection présidentielle et alors que la laïcité était prétexte à attiser des ressentiments provoqués par certains comportements religieux à des fins électorales, la ligue de l’enseignement publiait un document complet, « la laïcité pour faire société », pour mettre en garde contre son instrumentalisation et rappeler qu’elle est d’abord, dans ses principes et son éthique, un vecteur du mieux vivre ensemble et non un motif d’exclusion. Le texte ci-dessous s’appuie entre autre sur ce document très complet.
Ce document nous rappelle ainsi que la laïcité trouve ses fondements dans l’Histoire, le droit et la philosophie et qu’elle renvoie d’abord aux rapports qu’ont entretenus dans les grandes périodes historiques, les pouvoirs temporels et spirituels. Les formes et caractéristiques de la laïcité à la française se sont lentement construites dans les rapports entre le civil et le religieux pour finalement aboutir à la séparation de l’Eglise et de l’Etat donc à la neutralité de l’Etat vis-à-vis de toutes les religions gravées dans la loi de séparation de 1905.
Cette séparation est le fruit d’une longue histoire ayant vu la France passer, non sans heurt, d’une monarchie absolue de droit divin (dans laquelle le roi a toujours pris soin de placer le pouvoir temporel au dessus du pouvoir spirituel et donc de subordonner l’Eglise à l’Etat, et non l’inverse) à une République indivisible, laïque, démocratique et sociale.
Dès l’époque médiévale et jusqu’à aujourd’hui, l’idée laïque a fait son chemin, connu des grandes étapes et des évolutions. On peut ici en relever quelques étapes parmi les plus importantes :
Les lumières, la révolution française, l’adoption de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et le XIXème siècle apparaîssent à ce titre déterminant dans la construction de l’idée laïque. Les révolutions successives du XIXème et les changements de régime ont fait bouger les lignes et les frontières entre pouvoir spirituel et temporel.
La IIIème république et le combat des républicains tels que Ferry, Jaurès, Briand, Buisson… marque une étape déterminante dans le cheminement de l’idée laïque.
Ce combat débouchant en particulier sur les lois sur l’école de Ferry et plus tard sur la loi de 1905 de séparation de l’Eglise et de l’Etat.
Cette loi plutôt qu’un aboutissement, marque le début d’un long processus de sécularisation qui voit le religieux passer lentement au second plan dans le quotidien des gens.
Avec les 30 glorieuses, ce processus de sécularisation apparaît abouti. La laïcité, semblant devenir une valeur acquise, perd de la vitesse renforcée en cela par la crise et le désenchantement du monde qui lui est rattaché.
Avec la fin des années 80, l’idée laïque reprend de la vigueur en particulier avec les affaires liées au film « la dernière tentation du christ », l’affaire Rushdie et ses « versets sataniques », les premières affaires du voile…et face aux menaces que ferait porter le développement de l’islam en France.
C’est dans ce temps là que naît une grande confusion politico-idéologique et que les grands clivages apparaissent. Les laïcs de tout bord s’accordant sur les grands principes (liberté de conscience, séparation église/état, égalité en droit des citoyens) sans trouver d’unanimité dans les réponses à apporter aux situations concrètes questionnant la laïcité. Un même mot recouvre alors plusieurs sens très différents.
L’affaiblissement progressif de l’Etat-Nation, de la force de l’appartenance nationale comme facteur de cohésion entre les citoyens français ont entraîné le passage d’une laïcité ciment de l’unité nationale à une notion qui a parfois du mal à être perçue comme garante du pluralisme social et culturel et qui dans certains quartiers peut sembler être une contrainte acceptée mais plus porteuse d’émancipation.
Les années 2000 marquent également une période de tension et d’interrogations autour de la laïcité. La montée de pensées radicales entraîne la reprise de cette notion à des fins escamotées et pernicieuses par des partisans d’idéologies traditionnellement opposées à l’idée laïque (extrême-droite, courants religieux rigoristes,...)
La laïcité, historiquement outil privilégié d’émancipation, a pu être instrumentalisé à des fins de rejet et de ségrégation sociale de certaines catégories de la population, transformées en boucs émissaires pour masquer les difficultés sociales.
L’ apparition, entre autre, du concept de laïcité positive a eu pour fondement la volonté d’introduire l’idée d’une reconnaissance institutionnelle de quelques cultes pour légitimer les traditions chrétiennes et l’idée d’une supériorité de la civilisation occidentale et, chemin faisant, donner un habillage républicain à une politique de discriminations en direction des citoyens issus de l’immigration dont les cultes/cultures sont volontiers présentés comme incompatible avec la démocratie et la laïcité.
Il apparaît donc important de revenir aux bases du principe de laïcité pour tenter de comprendre comment ce glissement a pu s’opérer à partir de fondements juridiques partagés mais dont des interprétations différentes animent les grands courants de pensée laïcs.
Le cadre juridique prend appui sur les 3 grands principes suivants :
La liberté de conscience et d’expression de ses convictions :
C’est l’article 1 de la loi 1905 qui établit le libre choix des citoyens qui peuvent indifféremment être croyant, athée ou agnostique.
la séparation du politique et du religieux pour garantir l’intérêt général.
C’est l’article 2 de la loi 1905 : « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte »… : Celui-ci implique une reconnaissance de tous les cultes sans accorder de privilège à l’un d’entre eux en particulier.
La séparation permet aussi le dépassement des convictions religieuses, philosophique ou politique pour construire un destin commun.
L’égalité en droit des citoyens :
Les citoyens libres de penser et de s’exprimer ne doivent ni être privilégiés, ni discriminés en fonction de leurs convictions religieuses, philosophiques ou politiques.
Si les laïcs de tout bord s’entendent sur ces principes de base, les courants divergent sur la mise en œuvre et l’application du droit pour laquelle il est souvent question d’interprétation et de la façon dont on articule ces principes philosophiques.
Ainsi, en fonction de l’endroit où se situe le curseur, on peut dégager trois grandes tendances dans le mouvement laïc.
Les uns considèrent que la liberté de conscience n’existe véritablement que si elle est libérée de l’influence religieuse. Les partisans de ce courant ont le respect de la foi des individus mais ils défendent aussi l’idée que la pratique religieuse est porteuse d’aliénation. Ils respectent les croyants à condition que leur expression reste discrète.
La limite opposable est que ce courant porte l’expression d’une option spirituelle particulière s’assimilant à une religion civile.
D’autres estiment que l’émancipation des personnes nécessite d’encadrer l’expression publique des religions en faisant appel à la loi et à l’Etat pour imposer le bonheur aux gens. La limite étant que cette vision peut générer des comportements de nouveaux clercs cherchant l’émancipation des personnes par la contrainte, réprimant pour mieux libérer.
Le dernier courant est celui qui fait le pari de la liberté : ils pensent qu’en utilisant contre ses adversaires des moyens qui sont autres que les siens, la démocratie se met en contradiction elle-même.
Courant qui peut s’avérer naïf et entraîner une faiblesse de réactions face à des revendications ou des comportements inacceptables. Toutefois, cette vision est celle des « pères fondateurs », la tradition de Jaurès et Briand.
La conclusion du document de la ligue de l’enseignement est dès lors très intéressante, puisqu’il préconise « d’inventer un nouveau discours républicain sur le vivre ensemble articulant droits et devoirs : une telle approche doit rendre compatible l’affirmation de l’égalité en droit des citoyens et de la dignité des individus avec la recherche d’un idéal d’authenticité marqué par l’attention accordée aux singularités et aux différences : La différence ne dément pas l’égalité, pas plus que la ressemblance n’en constituerait la garantie. Il faut à la fois éviter la dramatisation à propos de manifestations ou de revendications religieuses et ne pas rester inerte face à des revendications ou des comportements contraires aux libertés fondamentales. »
L’école, loin d’être imperméable aux dynamiques sociétales, est à la fois le lieu où les futurs citoyens que sont les élèves construisent leur libre-arbitre et leur faculté à vivre ensemble et d’autre part, un lieu qui met en tension les professionnels et le public par rapport à la question laïque.
Ces tensions sont en partie le fait d’un cadre légal assez flou pour ce qui concerne l’application de ce principe dans l’école qui laisse les professionnels de l’école assez démunis face à des situations très concrètes qui mettent en question la laïcité. Car contrairement à une idée assez répandue, il n’existe à proprement parler aucune « loi sur la laïcité » qui impose et/ou interdit mais un principe constitutionnel et une philosophie qui peuvent se discuter et dont l’essence est de rassembler plutôt que de diviser et exclure.
La présente fiche se propose de recenser quelques uns des textes de loi en vigueur qui définissent, régulent ou interfèrent dans la lecture que nous avons de ce principe et de sa traduction pragmatique.
La loi de séparation de l’église et de l’état de 1905,
L’article 1 de la constitution du 4/10/1958. « La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale »,
La loi du 15 mars 2004 sur le « port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics », dont on oublie fréquemment qu’elle ne s’applique qu’aux élèves. Le cas de la circulaire de rentrée 2012 dite circulaire Chatel est de ce point de vue venu apporter davantage de confusion.
La loi du 16 novembre 2001 sur les discriminations,
Alors quid de la charte de la laïcité adressée et affichée dans les établissements en ce début d’année scolaire 2013/2014 ? Représente-t-elle une ressource pour travailler à plus d’égalité et de fraternité ? Est-elle un instrument pour interdire et censurer ou l’occasion de donner un cadre collectif à la construction identitaire des élèves permettant l’expression des convictions de chacun dans une perspective d’échange, de partage, de connaissance et de respect mutuel pour garantir le rassemblement de tous dans une communauté de citoyens libres, égaux, fraternels ?
Posée de cette manière, la question paraît rhétorique, cependant, eu égard à la façon dont elle a pu être mise en débat, il semble important de nous interroger sur la façon dont cette dernière a pu être perçue par certains des usagers de l’école.