Résumé
Chaque année, l’Etat et les collectivités territoriales allouent un budget non négligeable au financement de l’enseignement privé élémentaire et secondaire sous contrat (respectivement 6 663 et 1 483 millions d’euros en 2008). Parmi les contreparties figure pour ces établissements l’obligation de respecter le principe de non-discrimination. « Tous les enfants sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyances, y ont accès » prévoit la Loi Debré de 1959. Nous proposons d’examiner sur données expérimentales la réalité des pratiques de ces établissements lorsqu’elles sont confrontées à des demandes d’inscription d’enfants issus ou non de l’immigration.
Entre mars et juin 2011, nous avons évalué la discrimination liée à l’origine supposée des parents, à l’entrée de 4 269 établissements privés répartis sur le territoire métropolitain et ultra-marin. Nous avons construit de toutes pièces les identités de deux pères fictifs, l’un portant un prénom et un nom à consonance française, l’autre à consonance maghrébine. A quelques jours d’intervalle, ces deux pères fictifs ont adressé un court message à chacun de ces établissements pour obtenir plus d’informations en vue d’y inscrire leur enfant à la rentrée suivante. Cette démarche de première prise de contact est celle préconisée par l’Education Nationale. Nous avons ensuite comparé les suites données à ces messages par ces établissements. Cette comparaison nous permet de rendre compte de la discrimination à l’entrée de l’enseignement privé, dans la mesure où le protocole expérimental de cette
expérience contrôlée, qui s’inspire de la méthode du testing, nous permet d’éliminer parfaitement les deux autres facteurs potentiellement explicatifs de l’inégal accès à ces établissements : l’auto-sélection des parents et l’hétérogénéité des demandes d’inscription.
Dans 18% des cas, les établissements privés discriminent le père issu de l’immigration, en donnant à sa demande d’informations une suite moins favorable qu’à celle de l’autre père fictif. Cette discrimination significative apparaît à trois niveaux. Premièrement, la discrimination se manifeste très souvent par l’absence même de réponse de l’établissement au message des parents. Si les deux pères fictifs sont concernés par cette situation dans une très forte proportion, le père issu de l’immigration l’est encore plus fréquemment (écart de 11 points de pourcentage dans les écoles élémentaires et 16 points dans les collèges). Deuxièmement, la discrimination apparaît à travers des refus. Les établissements qui ne répondent qu’à un seul message envoient plus fréquemment une réponse négative au père issu de l’immigration (écart de 6 points de pourcentage dans les écoles élémentaires et 11 points dans les collèges). Troisièmement, la discrimination transparaît au travers des réponses favorables. Les
établissements qui répondent aux deux messages et n’adressent pas de réponse négative envoient moins souvent une réponse positive ferme au père issu de l’immigration (écart de 7 points de pourcentage), celui-ci étant plus souvent concerné par la proposition d’un rendez-vous que le père d’origine française (écart de 5 points de pourcentage).
Loïc du PARQUET, Université du Maine, GAINS et TEPP (FR CNRS n°3435), avenue Olivier Messiaen 72085 Le Mans cedex 09, loic.du_parquet@univ-lemans.fr
Thomas BRODATY, Centre d’études de l’emploi « Le Descartes 1 » 29, promenade Michel Simon 93166 Noisy-le-Grand Cedex, thomas.brodaty@cee-recherche.fr
Pascale PETIT, Université Paris-Est, ERUDITE et TEPP (FR CNRS n°3435), 5 boulevard Descartes, Champs sur Marne 77454 Marne la Vallée cedex 2, pascale.petit@univ-mlv.fr