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Des parcours différenciés au collège

Analyse des parcours d’élèves d’une cohorte de leur test d’entrée en sixième à leur orientation en fin de 3ème

Enregistrer au format PDF  Version imprimable de cet article Version imprimablemardi 1er juillet 2014, par Fabienne FERRERONS

Cette analyse a été demandée par une principale de collège d’un Réseau de Réussite Scolaire sur une grande agglomération de la banlieue lyonnaise. Elle avait conservé des archives sur ses élèves de leur entrée en 6ème à leur sortie en 3ème, et souhaitait qu’elles servent pour permettre une analyse qui ferait reconnaître et légitimerait la question des discriminations à l’école.

Merci à elle d’avoir permis ce travail.

Vidéo de la présentation lors des rencontres du réseau le 24 juin 2014

 Méthodologie

Nous avons fait le choix d’étudier les parcours d’une cohorte d’élèves de la 6ème à la 3ème dans le collège d’une grande agglomération lyonnaise. Le but de cette analyse est d’étudier des parcours d’élèves en fonction de différents critères pour vérifier si ces critères peuvent pénaliser les élèves. Nous étudierons ces parcours des élèves sous le prisme de rapports sociaux dits de classe, de sexe et de race. Pour cela, nous retiendront trois indicateurs : le sexe indiqué sur les dossiers, l’attribution des bourses comme un indicateur de l’origine sociale et la connotation d’origine des prénom comme un indicateur de l’origine ethnique. Bien sûr, d’autres indicateurs manquent pour comprendre les parcours de chaque élèves. Mais le faible échantillon d’élève étudiés ne permettait pas la prise en compte d’autres critères. Ce faible nombre d’élèves a pu également créer des biais, et les résultats présentés ci-dessous doivent donc donc être requestionnés et retravaillés à travers d’autres études.

Effectifs de la cohorte (total : 117)
Filles Garçons Boursiers Non boursiers Origine européenne Origine extra-européenne
68 49 54 63 63 54

Le critère genro-sexuel est, dans cette étude, déterminé par le sexe indiqué sur les dossiers des élèves. Ce choix d’indicateur peut être remis en question puisque le genre suppose de prendre en compte plus largement la manière dont sont perçus les élèves, plutôt comme des filles, ou plutôt comme des garçons, avec tous les présupposés de rôles genrés qui y sont liés.

Le critère de l’origine sociale est déterminé par l’attribution ou non d’une bourse à l’enfant. Ce n’est qu’un des indicateurs de l’origine sociale qui peut aussi être déterminée par de nombreux autres critères comme les CSP des parents, le lieu de résidence...

Le critère ethnico-racial est déterminé par la connotation d’origine des prénoms. Cette méthode a déjà été utilisée dans de nombreuses recherches (Decharne, Liedts et Felouzis, Liot, Perroton). Nous avons demandé à une quinzaine de personnes si les prénoms de cette cohorte d’élève avaient plus selon eux une connotation d’origine européenne ou extra-européenne. Le prénom constitue un indicateur intéressant, mais ce n’est qu’un critère parmi de nombreux autres pouvant déterminer l’origine ethnique d’une personne. Ici, le but n’est pas de déterminer l’origine réelle de l’élève, mais d’interroger les représentations derrière un prénom et son ethnicité supposée. On ne prend donc en compte que des représentations qui vont nous permettre d’interroger la question de la discrimination (Lorcerie). Toutes les données ont été codées et entièrement anonymées.

Ces indicateurs sont donc subjectifs et incomplets mais ils font partie de ceux que nous utilisons quotidiennement pour construire des représentations. Si cette analyse cherche à évaluer le poids pénalisant de certaines représentations sur les élèves, elle ne nous permettra pas de déterminer quels processus sont liés à l’extérieur de l’école et lesquels sont en lien avec les pratiques internes au collège. Cependant de nombreuses études ont déjà montré qu’il existait une articulation entre les deux qui créait de la discrimination.

Nous opposerons dans l’étude les critères deux à deux, puis parfois les trois ensemble, dans une optique de comparer des parcours d’élèves du groupe majoritaire, et du groupe minoritaire. Les concepts de majoritaire et de minoritaire n’ont pas de valeur quantitative mais ils expriment des positions dans la hiérarchie sociale. Les membres du groupe minoritaire sont en situation de désavantage en raison d’une caractéristique commune qui fait l’objet d’une dévalorisation, d’un stigmate de la part du groupe majoritaire, qui lui, a le pouvoir de déterminer ce qu’est la norme (Lorcerie). Ces classifications n’ont existence qu’à travers des pratiques quotidiennes qui peuvent les légitimer mais aussi les transformer.

 1 - Résultats scolaires différents

1-a. Résultats en français et en mathématiques, en 6° et en 3°, sur l’ensemble de la cohorte

Du point de vue des niveaux de notes, les groupes sont plutôt homogènes. Toutefois, des écarts de moyenne sont observés entre les groupes dits majoritaires et les groupes dits minoritaires. L’écart de moyenne en 3° entre le groupe des filles et des garçons est de 0,5 points en faveur des filles, alors qu’il n’y avait pas d’écart entre les deux groupes au test d’entrée en 6°. L’écart en 3° entre les élèves porteurs d’un prénom à connotation d’origine européenne ou extra-européenne est de 1 point en faveur de la connotation d’origine européenne, au lieu de 0,8 en 6° ; et l’écart entre les boursiers et les non boursiers est également de 1 point en faveur des non boursiers, au lieu de 0,7 en 6°.

Nous avons souhaité croiser les critères et il nous est apparu intéressant de distinguer la moyenne sur l’année de 3° en mathématiques de la moyenne en français. De même, nous avons également distingué les résultats au test d’entrée en 6° en mathématiques de ceux en français.

S’il on compare le sexe et la connotation d’origine du prénom, on observe en français que les filles au prénom à connotation d’origine européenne obtiennent les meilleurs résultats en 6° comme en 3°, suivies par les garçons au prénom d’origine européenne en 6°, par les filles au prénom d’origine extra-européenne en 3°. En 6°, comme en 3°, les garçons au prénom d’origine extra-européenne obtiennent les moins bons résultats. Ils ont plus de deux points d’écarts avec les filles au prénom d’origine européenne. Ces résultats viennent confirmer ceux de nombreuses autres recherches (Vallet et Caille) qui identifiaient que les résultats scolaires des enfants d’immigrés étaient moins bons que les résultats des élèves français d’origine.

En mathématiques, les garçons au prénom d’origine européenne ont de meilleurs résultats en 6° et en 3° que les filles, tous prénoms confondus. Les filles, tous prénoms confondus, obtiennent des résultats similaires en 6° comme en 3°. Les garçons au prénom d’origine extra-européenne ont les meilleurs résultats en 6°, mais les moins bons en 3°.

Quand on compare le sexe à l’origine sociale cette fois-ci, on observe en français que les filles non boursières obtiennent les meilleurs résultats en 6°, comme en 3°, suivies par les filles boursières, puis les garçons non boursiers. Les garçons boursiers obtiennent les moins bons résultats avec à chaque fois 2,5 points d’écart avec les filles non boursières.

Pour les mathématiques, en 6°, ce sont les garçons boursiers et non boursiers qui ont les meilleurs résultats, suivis par les filles non boursières et boursières. En 3°, ce sont les non boursiers filles et garçons qui ont de meilleurs résultats, alors que les boursiers garçons et filles ont les moins bons.

Enfin, si l’on compare l’origine sociale et l’origine ethnique en français, en 6° comme en 3°, ce sont les non boursiers au prénom à connotation d’origine européenne qui obtiennent les meilleurs résultats, suivis par les boursiers au prénom à connotation d’origine européenne. Les élèves au prénom à connotation d’origine extra-européenne boursiers et non boursiers obtiennent les moins bons résultats.

En mathématiques, en 6° comme en 3°, ce sont les non boursiers au prénom à connotation d’origine européenne qui ont les meilleurs résultats. Ils sont suivis par les boursiers au prénom à connotation d’origine extra-européenne et par les non boursiers au prénom à connotation d’origine extra-européenne qui ont des résultats similaires. Ce sont les boursiers au prénom à connotation d’origine européenne qui obtiennent les moins bons résultats.

En conclusion, on observe qu’en français, les filles ont de meilleurs résultats peu importe la connotation d’origine de leur prénom ou qu’elles soient boursières ou non. L’attribution d’une bourse et le prénom à connotation d’origine extra-européenne apparaissent généralement pour les garçons et les filles comme des critères pénalisant dans les résultats. Quand on compare le critère de l’origine sociale à celui de l’origine ethnique, on remarque que c’est le critère de l’origine ethnique qui est le plus pénalisant.

En mathématiques, les tendances changent entre la 6° et la 3°. En 6°, ce sont les garçons qui ont les meilleurs résultats avec de bons résultats des minoritaires boursiers et porteurs d’un prénom à connotation extra-européenne. Mais en 3°, ces critères sont pénalisant et renvoient aux moins bons résultats.

1-b. Résultats en 6° et en 3° sur l’ensemble de la cohorte en croisant les trois critères

Quand on croise les trois critères en même temps, on remarque qu’en 6ème, les élève portant un prénom à connotation d’origines extra-européennes ont généralement de moins bons résultats que les élèves portant un prénom à connotation d’origine européenne (bleu contre vert, violet contre orange). Pour les garçons au prénom à connotation d’origine extra-européenne et les filles au prénom à connotation d’origine européenne, les non boursiers ont de meilleurs résultats tandis que pour les autres, ce sont les boursiers qui ont de meilleurs résultats (couleur claire contre couleur foncée).

En 3ème, la tendance devient la même pour tous, les connotations d’origine européenne ont toujours de meilleurs résultats que les extra-européennes, et les non boursier ont tous de meilleurs résultats que les boursiers, avec en tête les filles portant un prénom à connotation d’origine européenne non boursières et en dernier les garçons au prénom à connotation d’origine extra-européenne boursiers.

Quand on regarde les écarts de notes entre les résultats en 6ème et ceux en 3ème, on remarque que le collège profite plus aux filles, non boursières, celles avec un prénom à connotation d’origine extra-européenne en tête (mais leurs très faible nombre par rapport aux autres peut fausser ce grand écart). Ceux à qui profite le moins le collège sont les garçons boursiers, avec à la traîne les garçons au prénom à connotation d’origine européenne (mais encore une fois, leurs très faible nombre par rapport aux autres peut fausser ce grand écart)

1-c. Evolution des résultats en 2nde générale et technologique

Si on ne prends en compte, depuis la 6°, que les élèves orientés en 2nde générale et technologique, on peut observer des résultats sensiblement différents.

Quand on regarde les résultats en fonction du sexe parmi les seuls élèves orientés en 2nde générale et technologique, on peut observer qu’au collège, les filles ont de meilleures notes en français, et les garçons en mathématiques. Au 1er trimestre de 2nde générale et technologique, les résultats sont globalement en baisse, mais les garçons passent légèrement en tête en français, tandis que les fille les dépassent en mathématiques.

Quand on croise les résultats avec le critère social, on remarque qu’en français, si les boursiers étaient légèrement meilleurs que les non boursiers en 3°, ils obtiennent de moins bons résultats en 2nde. En mathématiques, les non boursiers gardent toujours de meilleurs résultats.

Si l’on observe le critère de l’origine ethnique réelle ou supposée chez les élèves orientés en 2nde générale et technologique, au 1er trimestre de 2nde, les élèves portant un prénom à connotation extra-européenne obtiennent de meilleurs résultats que les autres en français comme en mathématiques. Ils avaient également les meilleurs résultats que les autres au collège en mathématiques.

En conclusion, chez les meilleurs élèves, ceux orientés en 2nde générale et technologique, les critères étudiés sont moins pénalisants. Si pour l’ensemble de la cohorte, c’est le critère de la connotation d’origine du prénom qui est le plus pénalisant, notamment pour les garçons, chez les élèves orientés en 2nde générale et technologique, la tendance est inversée. Ce sont les élèves boursiers qui sont le plus pénalisés, bien que l’écart des résultats soit assez faible. Finalement, les élèves qui ont les meilleurs résultats en 6ème sont également les meilleurs en 3ème, le collège n’y change rien.

 2 - Différentes appréciations sur les bulletins scolaires

En prenant comme point de comparaison une recherche-action menée par des enseignants dans un collège de l’agglomération Grenobloise, nous allons nous intéresser aux appréciation sur les bulletins scolaires. L’objectif de cette recherche-action était de savoir si la manière de parler des élèves et de juger leur travail était strictement liée aux résultats scolaires, ou si, à même niveau de note, il pouvait y avoir des différenciations relatives à des critères de genre et/ou ethnico-raciaux. S’il existait un biais ethnique ou de genre dans les jugements sur la performance, la position ou les compétences scolaires des élèves (recherche-action collège Henri-Wallon). Notre étude sera plus complète puisqu’elle prendra également en compte le critère social.

Nous avons étudié les bulletins du premier trimestre de 3ème des élèves de la cohorte pour l’année 2012-2013. Nous avons choisis de n’étudier que ce 1er trimestre pour éviter des variations de jugements selon le trimestre et garder un ensemble cohérent. Ce choix peut évidemment être remis en question, notamment sur le biais quantitatif qu’il peut créer. Sur les 117 bulletins concernés, nous avons relevé 4752 termes relatifs aux appréciations, matières et enseignants confondus, soit une quarantaine de termes appréciatifs par élèves. Nous avons également relevé 1733 manières de désigner l’élève, soit une quinzaine d’appellations par élèves. C’est sur ces appréciations et appellations de l’élève que porte l’analyse.

Pour tenir compte du niveau de note, nous avons repris les 6 groupes de niveaux définis dans la recherche-action des enseignant du collège de l’agglomération grenobloise en fonction des notes des élèves, soient les niveaux : « manque » pour les notes de [0-8[, « insuffisant » [8-11[, « correct » [11-13[, « satisfaisant » [13-15[, « très bien » [15-17[, « excellent » [17-20[. Ce choix a été fait pour permettre une comparaison entre les résultats, mais ces niveaux sont à remettre en question car ils ne sont pas forcément les plus adaptés, en démontre par exemple le trop faible nombre d’élèves dans la catégorie « excellent ». Le but de la recherche-action était de neutraliser les différences de niveau scolaire afin de comparer les formes de jugements par catégories de profils. Nous reprenons leur méthodologie afin de comparer les résultats et de rajouter le critère social. La logique d’intersectionnalité sera travaillée en croisant différents critères. Deux éléments sont testés parmi les trois de la recherche-action : la manière de désigner l’élève et le registre appréciatif employé.

2-a. Manières de nommer les élèves

Nous avons relevé 5 manières de nommer les élèves : par leur prénom, l’emploi du mot « élève », « vous », « tu », ou « il/elle ». La manière de s’adresser aux élèves est avant tout liée à leurs résultats scolaires, ce que démontrait également la recherche-action grenobloise. Les élèves ont un statut différent en fonction de leurs notes, ce qui leur donne une certaine place hiérarchique.

Lorsque l’élève à de bonnes notes, on s’adresse à lui « élève » comme un sujet, et plus il a de bonnes notes, plus on le tutoie. Lorsque l’élève a de moins bonnes notes, il apparaît comme un « élève » objet, avec l’utilisation de elle/il. Les discours s’adressent moins directement à l’élève, mais à un tiers, comme les parents.

Ces formes d’appellation varient en fonction des différents critères, bien que les écarts soient souvent assez faibles. A niveau de notes égales, les filles sont plus souvent appelées « elle » que les garçons (en moyenne 7 fois plus). Ces derniers sont plus souvent tutoyés que les filles sauf aux pôles « manque » et « très bon ».

Quand on compare les boursiers et les non boursiers, les écarts sont moins flagrants à notes égales. Les non boursiers sont plus tutoyés que les boursiers, sauf aux pôles « manque » et « très bon ». De même, les boursiers sont plus appelés « elle/il » sauf pour les catégories « correct » et « très bon ».

Les élèves portant un prénom à connotation d’origine extra-européenne sont eux aussi, à notes égales, plus désignés « elle/il », sauf pour la catégorie « très bon » (en moyenne 5 fois plus). Ceux qui portent un prénom à connotation d’origine européenne sont plus souvent tutoyés (en moyenne 7,5 fois plus). C’est donc sur ce critère que les écarts sont les plus importants à niveau de note égale.

En conclusion, en moyenne et à niveau de notes égales, ce sont les élèves appartenant au groupe dit « majoritaire » qui sont le plus tutoyés, tandis que les élèves appartenant au groupe dit « minoritaire » sont plus désignés « elle » ou « il », notamment les élèves portant un prénom à connotation d’origine extra-européenne. Bien que les écarts soient encore assez faibles, ce constat est important car il a une signification sur le statut des élèves. Les élèves tutoyés sont désignés comme sujet, tandis que les appellations « elle/il » désignent plus un objet, tandis que l’on s’adresse à un tiers.

2-b. Vocabulaire utilisé dans les appréciations

L’analyse se fait cette fois-ci toutes notes confondues. Lorsque l’on compare les appréciations portées aux filles et celles portées aux garçons, on remarque que si les mêmes termes reviennent fréquemment (bavardage, satisfaisant, effort, bon, correct, sérieux-se, participation), d’autres termes sont plus spécifiquement employés pour chacun des deux critères. Chez les filles, il apparaît plus fréquemment que chez les garçons un profil plus « sage » (agréable, encouragement, excellent, convenable, félicitation). Les garçons ont un profil moins sage (attitude, avertissement, comportement, amusement, s’amuse). Le vocabulaire attribué aux garçons est plus varié que celui attribué aux filles. On leur attribue plus généralement de l’énergie, parfois un trop-plein d’énergie, ils bougent, sont en mouvement. On regarde plus fréquemment leurs résultats (juste, inquiétant) et on a sur eux une présomption de capacité (capable, capacité, gâche, progrès) alors que les filles sont plus statiques, passives (discrète, absence).

Quand on compare boursiers et non boursiers, les différences ne sont pas flagrantes. Malgré les « difficultés », les boursiers sont plus en « capacité », « capables ». Les non boursiers, eux, sont plus « agréable », reçoivent plus de « félicitations ».

Les appréciations toutes notes confondues sont plus riches et plus variées chez les élèves portant un prénom à connotation d’origine européenne. Leur attitude et leurs résultats sont plus valorisés (félicitation, agréable, très bon, bien, encouragement, convenable, participation), mais il sont également un peu plus que les autres en présomption de capacité (capable, capacité, progrès). Les appréciations sur les élèves portant un prénom à connotation d’origine extra-européenne sont plus portés sur l’attitude et les résultats de manière plus négative (attitude, difficultés, comportement, avertissement, inquiétant).

Ces différences d’appréciation peuvent entre autre s’expliquer par des niveaux scolaires différents. C’est pourquoi nous allons étudier l’utilisation du terme « sérieux-se » à niveau de note égal.

2-c. Utilisation du terme « sérieux-se » à niveau de notes égales

On remarque qu’à niveau de note égal, le terme « sérieux-se » est plus souvent attribué aux filles qu’aux garçons (écart moyen de 30%). Ce terme est également plus attribué aux non boursiers et aux élèves portant un prénom à connotation d’origine européenne (en moyenne -12% pour les boursiers, -13% pour les élèves portant un prénom à connotation d’origine extra-européenne).

Les filles, boursières en tête, se partagent les termes « sérieux-se ». Les garçons non boursiers obtiennent avec les filles boursières le plus cette appréciation au niveau « satisfaisant ». Les garçons boursiers obtiennent de loin le moins de « sérieux-se » toutes notes confondues (25% de moins que leurs homologues féminines). C’est le critère du sexe qui joue le plus dans l’emploi de ce terme.

Si l’on croise le sexe avec la connotation d’origine du prénom, on remarque que se sont toujours les filles qui obtiennent le plus de « sérieux-se », celles au prénom d’origine européenne en tête. Les garçons toute connotation d’origine confondue obtiennent le moins cette appréciation. Les garçons au prénom à connotation d’origine européenne obtiennent le moins de « sérieux-se », 23% de moins que leurs homologues féminines. C’est donc toujours le sexe qui joue le plus dans l’emploi de ce terme.

Aux niveaux de notes « manque » et « insuffisant », ce sont les boursiers au prénom à connotation d’origine extra-européenne qui ont le plus de « sérieux-se ». A partir de la note 11, ce sont les non boursiers au prénom à connotation d’origine européenne qui obtiennent le plus cette appréciation. Ils l’obtiennent 28% de plus que leurs homologues au prénom à connotation d’origine extra-européenne.

En conclusion, on remarque que les différents critères impactent différemment sur le statut des élèves, même à niveau de note égal. Ces tendances font apparaître des statuts scolairement différents en fonction des élèves vus comme garçons ou filles, d’origine européenne ou extra-européenne, d’origine sociale aisée ou modeste. Les élèves garçons, au prénom à connotation européenne, non boursiers, sont plus souvent tutoyés par les enseignants qui s’adressent directement à eux. L’impression de proximité qui s’en dégage vient interroger la notion d’égalité de traitement de l’école. Les filles, avec généralement de meilleures notes, sont plus souvent qualifiées de « sérieux-se » mais moins souvent tutoyées. Malgré plus d’appréciations négatives sur leur comportement, ce sont les garçons qui sont le plus qualifiés de capables. Les garçons au prénom à connotation d’origine extra-européenne sont moins considérés comme étant capables, ni sérieux. Ils sont également les plus appelés « il ».

 3 - Différentes orientations

3-a. Les choix d’orientation

Une deuxième recherche-action dans un lycée grenoblois a observé l’impact des représentations ethniques et de genre sur l’orientation et l’affectation vers les différentes filières du lycée. Les enseignants ont choisis de se pencher sur l’affectation à la fin de la seconde car l’affectation dans les différentes filières se décide à ce moment. Leur objectif était de savoir si les orientations des élèves différaient, à notes équivalentes, en fonction des critères du genre et de l’ethnicité (recherche-action lycée Mounier). Notre analyse prendra également en compte le critère social. La méthodologie concernant le choix des critères reste la même, mais l’observation se fera sur l’orientation en fin de 3°. Il est convenu que les différentes orientations n’ont pas les mêmes valeurs et font elles-mêmes l’objet de représentations. Ainsi, l’orientation la plus valorisée sera la 2nde générale et technologique, plus que la 2nde professionnelle, le CAP ou le redoublement.

Quand on compare le sexe et l’origine sociale, on remarque que ce sont les non boursiers, filles comme garçons, qui vont le plus en 2nde générale et technologique. Ceux qui s’orientent le plus en lycée professionnel sont les filles boursières, alors que ceux qui choisissent le moins cette orientation sont les garçons non boursiers. Sur cette cohorte, ce sont les garçons boursiers qui vont le plus en CAP, mais le faible échantillonnage peut fausser cette tendance. Ceux qui redoublent le plus sont les garçons boursiers, suivis par les filles boursières.

Si l’on croise le critère du sexe avec celui de l’origine ethnique réelle ou supposée, les écarts sont moins importants. Ce sont les garçons portant un prénom à connotation d’origine européenne qui s’orientent le plus en 2nde générale et technologique et en 2nde professionnelle. Ceux qui redoublent le plus sont les garçons portant un prénom à connotation d’origine extra-européenne.

Quand on croise les critères de l’origine sociale et de l’origine ethnique réelle ou supposée, se sont les non boursiers qui s’orientent le plus en lycée général et technologique, peu importe la connotation d’origine ethnique du prénom. Ce sont les non boursiers au prénom à connotation d’origine européenne qui s’orientent le plus en lycée professionnel, alors que les non boursiers au prénom à connotation d’origine extra-européenne s’y orientent le moins. Ceux qui redoublent le plus sont les boursiers au prénom à connotation d’origine européenne.

En conclusion, ce sont les groupes qui depuis le début de l’étude montrent les meilleurs résultats qui s’orientent le plus en lycée général et technologique : non boursiers et élèves portant un prénom à connotation d’origine européenne. Les garçons boursiers sont ceux qui s’orientent le plus en lycée professionnel et qui redoublent le plus. Quand on regarde l’origine ethnique, les garçons portant un prénom à connotation d’origine extra-européenne sont également ceux qui redoublent le plus. Si la connotation d’origine du prénom ne semble pas être pénalisante dans l’orientation en lycée général et technologique, elle le devient pour les garçons lors de l’orientation en lycée professionnel, supplantant l’origine sociale.

3-b. Les moyennes àl’orientation

Quand on regarde les moyennes à l’orientation, il est important de croiser les critères pour faire ressortir des tendances. Il faut rappeler que les groupes majoritaires non boursiers et élèves portant un prénom à connotation d’origine européenne ont généralement de meilleures notes. De même, les filles ont souvent des notes supérieures à celles des garçons, surtout en Français. On peut observer que dans les « choix » d’orientation, ce sont ces groupes majoritaires qui ont les meilleures moyennes à orientation égale.

Quand on croise les critères du sexe et de l’origine ethnique réelle ou supposée, ce sont les filles portant un prénom à connotation d’origine européenne qui ont la moyenne la plus élevée pour l’orientation en lycée général et technologique, comme pour l’orientation en lycée professionnel. Elles sont suivies par leurs homologues garçons, puis les filles portant un prénom extra-européen, et enfin les garçons portant un prénom extra-européen. Ce sont les garçon au prénom à connotation d’origine extra-européenne qui ont la meilleure moyenne au redoublement.

Avec le croisement entre critère social et sexe, ce sont également les filles, non boursières, qui ont les meilleures moyennes à l’orientation en lycée général et technologique, comme en lycée professionnel.

Le groupe de majoritaires boursiers au prénom à connotation d’origine européenne ont les meilleurs résultats à l’orientation en lycée général et technologique comme en lycée professionnel. Les non boursiers au prénom extra-européen ont les moins bonnes moyennes dans ces orientations, mais les meilleurs résultats pour le redoublement.

En conclusion, les choix d’orientations semblent se faire au détriment des filles, puisqu’elles ont généralement les meilleurs résultats pour chaque orientation. Ces orientations semblent avantager davantage les garçons, boursiers, portant un prénom à connotation d’origine extra-européenne qui sont orientés avec de moins bons résultats au lycée général et technologique et au lycée professionnel. Cela pourrait s’expliquer par une plus grande ambition de ces élèves qui pourraient souhaiter des orientations en décalage relatif avec leurs résultats. On pourrait aussi démontrer une sélectivité différente en fonction des critères. Peut-être existe-t-il une sous-sélection pour les boursiers et les élèves portant un prénom à connotation d’origine extra-européenne afin de compenser des résultats scolaires moins bons et de ne pas freiner leur sortie ? Brinbaum et Kieffer, ainsi que Felouzis ont observé que les élèves originaires du Maghreb, d’Afrique noire et de Turquie obtiennent de moins bons résultats que les autres, mais, à résultats comparables, ils sont plus souvent orientés vers une seconde indifférenciée.

En CAP, la tendance s’inverse avec les meilleurs résultats pour les élèves portant un prénom extra-européen, mais le faible échantillonnage pour cette orientation peut fausser les résultats.

Les résultats du groupe de recherche-action montrait que les garçons non-européens étaient affectés en filière STG (en opposition aux filières S, L, ES) avec des moyennes plus élevées que les autres, mais ce choix était fait par défaut de notes suffisantes pour pouvoir accéder aux autres filières. A moyenne générale équivalente, les garçons non européens étaient tendanciellement un peu plus orientés en STG, ce qui conduisait ce groupe à être l’un des régulateur du système d’orientation.

Pour le redoublement, ce sont les groupes majoritaires les plus avantagés car les boursiers et ceux portant un prénom extra-européen sont ceux qui redoublent avec les meilleurs résultats. Le redoublement fonctionnant comme une proposition de repêchage, on le propose donc aux élèves portant un prénom à connotation européenne qui ont des moyennes plus faibles. Il existe cette fois-ci une sur-sélection du groupe des garçons portant un prénom à connotation d’origine extra-européenne a qui on propose le redoublement.

 Conclusion

Loin d’être homogènes, les parcours varient selon le genre, l’origine supposée et la classe sociale de l’élève, et les critères, se croisant, montrent des parcours complexes où l’origine sociale n’est pas toujours pénalisante de la même manière que le critère ethnico-racial, où ce dernier ne montre pas toujours les même résultats en fonction du critère du genre. Il est donc primordial de prendre en compte les rapports de classe, de race et de sexe ensembles pour comprendre l’intersectionnalité des discriminations et la complexité des rapports de domination.

Les résultats de l’analyse sur les différences de résultats scolaires des élèves viennent corroborer de nombreuses recherches locales et nationales : les filles sont meilleures en français, les garçons sont meilleurs en maths, les critères de l’attribution d’une bourse et du prénom à connotation d’origine extra-européenne apparaissent comme étant pénalisant. Comme le démontrent d’autres recherches, une polarité semble se dessiner opposant filles européennes à une extrémité et garçons non-européens à l’autre (Brinbaum et Kieffer).

Certains élèves cumulent des caractéristiques défavorables à la « réussite scolaire ». Si on peut imputer certaines de ces caractéristiques à un contexte extérieur à l’école (faibles ressources, précarité, ségrégation urbaine...), on a également vu que l’école créait ou renforçait certaines inégalités basées sur des représentations servant à catégoriser les élèves. Nous avons pu observer le poids des représentations sur les élèves avec les différentes appréciations, notamment à niveau de notes égales, les différentes orientations avec différents niveaux de notes selon les critères. Le système de hiérarchie des notes, qui semble expliquer la réussite du parcours scolaire, peut être questionné par rapport à les différences d’accès aux savoirs et aux apprentissages qui créent de l’inégalité. Mais quand à même niveau de notes, le parcours des enfants diffère en fonction de critères pour certains prohibés par la loi,on est en droit de s’interroger sur l’existence de processus discriminatoires à l’école.

 Pistes de de réflexion

L’indifférence aux différences, n’est pas forcément un vecteur d’égalité de traitement. Elle disqualifie tous les élèves et les familles qui ne maîtrisent pas les normes scolaires ou qui ne réagissent pas conformément aux attentes implicites de l’école et des enseignants. Comment rendre accessible le même enseignement à tous les élèves, et s’interroger sur ce qui peut faire obstacle à cet accès ?

Une posture trop bienveillante auprès des élèves en difficulté fait s’agrandir l’écart entre bons et moins bons élèves. La posture est discriminatoire quand les enseignants ont mis les élèves dans la catégorie « en difficulté » en fonction de préjugés liés aux situations familiales, au sexe, à l’origine supposée... Il y a discrimination inconsciente dans l’accès donné aux apprentissages, bien que le but soit d’aider les plus en difficulté. Comment garder la même exigence élevée pour tous les élèves ?

Il est important de savoir questionner ses représentations et remettre en question ses pratiques : « est-ce que ce que je fais en ce moment peut être discriminatoire ? » Il faut prendre conscience que nous sommes traversé par les préjugés que véhicule l’ensemble de la société concernant ces catégories. Il ne suffit pas de ne pas penser à ces critères pour ne pas les mettre en œuvre à notre insu. Ces stéréotypes et ces représentations sociales peuvent influer sur les attentes à l’égard des élèves et des familles, sur les façons de construire les classes, de noter les élèves, de les orienter...

Il faut favoriser les discussions, les partages sur les bonnes idées, les pratiques réfléchies collectivement, entre collègues, entre établissements... (classes sans options majoritaires, ouvrir sa classe aux collègues, s’approprier des travaux de recherche pédagogiques existants, repenser les systèmes d’évaluation, vigilance sur les devoirs à la maison, lors de l’orientation...)

La lutte et la prévention des discriminations passe notamment par le fait d’ouvrir la parole et de reconnaître le problème, d’analyser collectivement la manière dont les discriminations se produisent et de développer des formes d’action collectives face à ce phénomène. Ne pas en parler participe au maintien d’une connivence et des arrangements contraires au droit et au principe d’égalité : cela rend invisible le problème et rend la discrimination acceptable et banale.

 Bibliographie

  • Référentiel du réseau national de lutte contre les discriminations à l’école, Centre Alain Savary, IFÉ / ENS
  • Synthèse de l’analyse du groupe de recherche-action sur les discriminations du collège Henri-Wallon de Saint-Martin d’Hères (A paraître)
  • Synthèse de l’analyse du groupe de recherche-action sur les discriminations du lycée Mounier de Grenoble (A paraître)
  • Brinbaum Y., Kieffer A. (2009), La scolarité des enfants d’immigrés de la sixième au baccalauréat. Différences et polarisation des parcours, Population
  • Decharne M-N., Liedts E. (2007), Porter un prénom arabe ou musulman est-il discriminant dans l’enseignement supérieur ?, Lille, ORES
  • Dhume F., Dukic S., Chauvel S., Perrot P. (2011), Orientation scolaire et discrimination. De l’(in)égalité de traitement selon « l’origine », Paris, La Documentation française
  • Felouzis G., Liot F., Perroton J. (2005), L’apartheid scolaire. Enquête sur la ségrégation ethnique dans les collèges, Paris, Seuil
  • Lorcerie F., Ecole et appartenances ethniques, Que dit la recherche ?, CNRS
  • Vallet L-A., Caille J-P., (1996), Niveau en mathématiques et en français des élèves étrangers ou issus de l’immigration, Economie et Statistique n°293

Voir en ligne : Voir la présentation du mémoire de master 2 de Fabienne Ferrerons : Les discriminations à l’école, du déni à la lutte contre les discriminations

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