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Faire et défaire le genre à l’école

Enregistrer au format PDF  Version imprimable de cet article Version imprimablevendredi 9 mai 2014, par Joëlle BRAEUNER-MAGAR

mémoire de MASTER 2 "Genre(s), pensées de la différence, rapports de sexe", sous la direction de Annie Benveniste, 2011-2012, Centre d’Etudes Féminines et d’Etudes de Genre

Extrait

"Dialogue introductif et instructif :
Dans la cour d’une école primaire de Strasbourg ce printemps, des enfants de cours
élémentaire jouent au football en présence de leur maître. Une de ses collègues, passant par là, s’étonne :
"- Ils n’ont pas de dossards, comment font-ils pour reconnaître leur équipe ?
- Pas de problème ! C’est l’équipe des garçons contre celle des filles.
- Mais... il y a 12 filles et 5 garçons !
- Justement, c’est équilibré"
.

Voici planté le décor de la question du genre dans l’éducation scolaire : un lieu, l’école, des élèves (garçons et filles), des enseignant-e-s, un rapport social (en l’occurrence de jeu ou de compétition sportive dans un contexte éducatif) qui organise la partition et l’attribution d’une valeur différentielle entre les filles et les garçons. Cette anecdote, pour caricaturale qu’elle puisse paraître, signale de manière non métaphorique l’existence de situations d’inégalités, au sein de l’école républicaine dont le principe d’égalité est l’un des fondements. En filigrane apparaît, dans la pratique et le discours du maître, sa conviction d’une incompétence certaine des filles en matière de football (le jeune âge des enfants ne permet pas de supposer un bagage d’expérience nettement supérieur pour les garçons) qu’il expliquerait probablement, si on le lui demandait, par la différence « naturelle » des sexes. Dans l’hypothèse où la compétence des garçons de 7 ans dans ce domaine était avérée de façon certaine, la question qui se poserait alors serait celle du choix pédagogique réalisé par la constitution des équipes. (...)"

Conclusion du mémoire

"Au terme de cette démarche d’apprentissage de la recherche et après plusieurs mois d’attention aiguë aux mécanismes de production du genre, mes sentiments sont confus. Plaisirs de la découverte et du questionnement se conjuguent avec un sentiment de découragement face à l’ampleur de la tâche que représente la conscientisation des enseignants concernant le genre et le rôle qu’ils-elles sont amené-e-s à jouer dans sa perpétuation ou au contraire sa redéfinition. Les constats relatifs à leur manque de connaissances en ce domaine ne laissent pas d’interroger la responsabilité de l’institution, et de ce fait la volonté politique de procéder à quelque changement que ce soit qui permettrait à l’école d’être davantage un lieu d’émancipation. La récurrence des recherches qui établissent le même état des lieux aujourd’hui qu’il y a trente ans en matière de mixité, de ségrégation des filières d’orientation, de violences à caractère sexiste, la permanence des stéréotypes de genre qui irriguent les relations entre les filles et les garçons, ainsi d’ailleurs qu’entre les femmes et les hommes, le dédain institutionnel pour les initiatives créatrices d’ouvertures et de possibilités de construction subjectives différentes, tout cela n’invite pas à l’optimisme. Cependant pour avoir repéré comment, au sein de cet appareil qui m’apparaissait figé, des personnes investissent les marges de liberté qu’elles se reconnaissent, comment au prix d’un investissement subjectif fort elles agissent et transforment des pratiques qui, sans attendre, produisent des effets, je tempère ma vision pessimiste et envisage d’explorer plus avant cette piste prometteuse. L’accent mis par les uns et les autres sur leurs pratiques quelle qu’en soit l’entrée (pédagogie, interactions, didactique...) démontre en effet que l’égalité n’est pas le résultat d’une idéologie ou d’une croyance mais s’élabore au jour le jour dans la praxis. Partageant en cela la perspective de Delphy et Butler il me sembe que c’est bien à partir du « faire » que l’utopie peut se dessiner, porteuse non pas d’un idéal inaccessible, mais de possibles qu’il s’agit de faire advenir. La fonction de l’utopie est peut-être aussi, par contraste, de rendre saillant ici et maintenant ce qui gagnerait à être transformé. De ce point de vue, ce parcours de quelques mois avec les professionnels du collège Diderot permet de dresser les jalons d’un voyage à poursuivre dont les étapes ont maintenant le mérite d’être identifiées. L’interrogation est la forme d’expression qui convient le mieux à leur formulation.
- Comment par la connaissance de la dynamique des groupes, des enjeux de l’adolescence, des rapports de genre, créer des situations de mixité effective au collège, permettant aux filles comme aux garçons de construire une subjectivité plus riche de potentialités ?
- Comment accompagner les professeurs dans la prise de conscience des rapports de genre et dans la transformation de leurs pratiques ? Plus concrètement, comment créer des espaces suffisamment sécurisants pour rendre possible ces mouvements de déstabilisation conséquente ? Si un élément de réponse figure dans l’intégration des savoirs sur le genre en formation initiale et continue, notre travail a permis de mettre en évidence qu’il s’agit
d’une condition certes nécessaire mais pas suffisante.
- Comment recueillir la parole des élèves filles et garçons sur leur vécu de la mixité, leur
expérience du genre, leurs représentations en la matière ? Comment élaborer des supports
pédagogiques et didactiques qu’ils pourront s’approprier ?
- Comment interroger les confusions relatives à l’égalité sous la forme du mythe fondateur et
la redéfinir dans le champ du droit en tant que postulat de l’égalité de chacun-e avec chacun-e qui nécessite pour exister d’être vérifié ? Comment interpréter le féminisme comme possibilité de redéfinir la citoyenneté en tant qu’elle est un principe qui permet d’articuler les différentes positions du sujet ?
- Comment ouvrir au sein de l’école ou dans d’autres lieux d’éducation des espaces où la sexualité est digne de parole ? Cette interrogation est généré par le silence quasi total à cet égard au collège (ce qui n’empêche pas sa manifestation sous d’autres formes). Comment enfin prendre en compte ce qui se joue sur le terrain de la séduction dans la relation éducative en ce lieu où sont rassemblé-e-s adolescent-e-s et adultes sans que jamais n’apparaisse cette question ?

Si les deux dernières questions pointent le silence de l’institution et supposent de développer ce champ spécifique, les précédentes dressent des itinéraires déjà empruntés mais qui gagneraient cependant à l’être davantage. J’ai introduit ce travail en filant la métaphore du voyage, c’est ainsi que je le clôture en mesurant le chemin parcouru, notamment dans le défrichage de la méthodologie ; s’il pose plus de questions qu’il n’en résout, je m’en réjouis puisque cela me permettra d’aller de commencements en commencements vers des commencements qui n’ont pas de fin."

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