Comme d’autres institutions, l’école est constamment en tension entre une égalité de traitement affichée dans ses principes et une inégalité de traitement qui s’inscrit dans son mode de fonctionnement réel. Cette tension est accentuée par l’accroissement des logiques sélectives et par les logiques de mise en concurrence (des élèves, des établissements, etc.).
L’institution scolaire est d’autant moins préservée des logiques de fonctionnement de la société en général qu’elle a entre autres pour fonction (souvent tacite depuis la fin des ordres scolaires séparés à la fin des années 60) de promouvoir un ordre social et national, qui a été marqué dans l’histoire par des formes de colonisation et d’assimilation (l’école de Jules Ferry s’est construite contre les cultures d’origine). Les normes de classe, de sexe, de nation ou de race ont historiquement fait partie du projet de « l’école républicaine » [1]. Même si les époques ont changé, il est difficile d’imaginer que ces normes ne seraient plus présentes dans les conceptions de la forme scolaire [2]. Elles peuvent se manifester sous d’autres formes.
De fait, les inégalités de traitement à l’école ne se donne pas toujours à voir de prime abord en fonction des critères prohibés par la loi. Mais cela signifie-t-il qu’il n’y a pas de discriminations en fonction des critères illicites (notamment l’origine supposée et le sexe) ? Ou bien cela indique-t-il que le déni de ces formes de discrimination bloque la parole, voire même entrave les recherches sur cette question [3] ?
La recherche nous apprend que les critères interdits par le droit peuvent être masqués derrière des formes scolaires de légitimation de la sélection (réussite différente, comportement inadapté...). Les travaux sur les inégalités à l’école ont montré l’influence déterminante de « l’origine sociale » des parents, mais celle-ci est fréquemment corrélée à d’autres motifs d’inégalité (de genre, ethnique...). Paradoxalement, les inégalités dites sociales, toutes inacceptables qu’elles soient, ne tombent pas sous le coup de la loi. L’approche des discriminations ne doit donc pas conduire à minimiser ni occulter les inégalités de traitement relatives aux rapports de classes sociales.
Des recherches récentes exploitant les données fournies par la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du Ministère de l’Education Nationale, montrent que les parcours scolaires des élèves varient bien en fonction de l’origine, à la condition de croiser celle- ci avec la classe et le sexe : les enfants des flux postcoloniaux (maghrébins, subsahariens) sont particulièrement concernés. Si l’on examine ce que les résultats moyens (l’orientation après la troisième, le diplôme finalement obtenu) doivent à l’origine des élèves, l’impact propre de l’origine n’est pas visible lorsqu’on contrôle l’effet des autres variables (le statut social notamment). Mais si on le vérifie en la croisant avec l’influence du critère de sexe, des polarisations importantes apparaissent [4]. A l’analyse des résultats du panel 1995 du ministère de l’éducation nationale, il apparaît que les garçons issus de ces flux migratoires sont excessivement affectés par l’échec scolaire.
Ces travaux incitent à ne pas séparer ni opposer les différents critères, mais à les observer simultanément, et à être attentif aux manières dont ils agissent parfois ensemble.
La société française reconnaît progressivement qu’elle est structurée par des fonctionnements discriminatoires dans la plupart des domaines (logement, emploi,...). Il n’y a aucune raison que l’école échappe à de tels fonctionnements, même si les formes de la discrimination dans l’univers scolaires peuvent être différentes des formes connues ailleurs.
Quoi qu’il en soit, l’école, si elle se veut le vecteur d’une réduction des inégalités dans la société, a tout à gagner à s’interroger sur ce qui pourrait être discriminatoire dans son fonctionnement.