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Catégorisation ethnoraciale en milieu scolaire. Une analyse contrastive de conseils de discipline

Enregistrer au format PDF  Version imprimable de cet article Version imprimablevendredi 13 juin 2014, par Stéphane ZEPHIR

Article paru dans la Revue française de pédagogie 2013/3 (n° 184), E.N.S. Editions.

Résumé

Dans une approche pragmatiste des activités langagières, cet article analyse la production de formes particulières d’hostilité lors de comparutions de collégiens en conseil de discipline. Le rapprochement entre trois conseils offre une perspective différentielle sur le traitement de la déviance scolaire selon le type de catégorisation utilisée en situation. Ainsi, l’usage non pensé de catégorisations ethnoraciales peut ouvrir sur des formes d’échanges disqualifiantes à l’endroit de populations scolaires minorisées. Loin de dénouer un état de conflictualité antérieure, l’attribution d’altérité dont témoignent ces échanges interroge les fondements normatifs de l’école républicaine.
Instance délibérative préposée au règlement d’une conflictualité antérieure, le conseil de discipline se convertit, in situ, en un lieu où apparaissent, hic et nunc, de nouvelles formes d’hostilité. Celles-ci mobilisent, de façon non intentionnelle, un ensemble de pratiques discursives qui produisent une grammaire dépréciative de la catégorisation ethnoraciale.

Extraits

À la question de E1 succède une série d’interventions des acteurs éducatifs qui prend l’aspect d’un travail d’enquête intrusive dans l’environnement « privé » du binôme parent/élève. Cette enquête met à distance (objective, voire réifie) l’élève et sa mère et explore, sous des modalités inquisitrices, les formes relationnelles qu’ils entretiennent au quotidien. Les échanges ne tiennent alors pas compte de la réponse de la mère. Bien que celle-ci ait affirmé comprendre, l’enseignante soutient le contraire. Une collègue propose alors que l’élève fasse la traduction.

E1 : La maman comprend ce qu’on lui dit ? Parce que je crois…
Principal : Madame, vous comprenez ?
Mère : Oui.
E1 : Elle ne comprend pas ce qu’on lui dit.
E2 : Il faudrait que l’élève traduise.
P : Je crois qu’on peut lui faire confiance.
E1 : Oh !

[...]

"Replacée parmi d’autres formes d’hostilité internes et externes à l’école, cette forte conflictualité n’apparaît pas comme un épiphénomène, à la marge d’un procès éducatif fonctionnel. Penser cela ferait courir le risque de passer à côté de phénomènes d’ethnoracialisation de l’altérité, apparemment prosaïques, mais qui fragilisent l’école républicaine et maintiennent des populations scolaires minorisées dans un état de non-reconnaissance citoyenne. A contrario, le régime discursif « républicain », supposé aveugle aux différences ethniques, ne protège pas des classements socio-scolaires différencialistes celles et ceux en quête d’une vie digne. À la manière d’un prêt-à-penser idéologique transversal, l’usage spontané de ce régime discursif dédouane plus des inégalités et des dysfonctionnements induits qu’il n’apporte de réponses à ces situations de malaises et de (re)productions de discriminations subreptices et indirectes (Streiff-Fenart, 2002)."

[...]

"La catégorisation renvoie aux processus cognitifs et sociaux à partir desquels les activités sociales sont co-élaborées. Agencée en contexte grâce à ces processus, la catégorisation trouve alors toute son efficacité pratique. Grammaire de l’organisation des activités sociales, la catégorisation est au cœur de phénomènes visant à nommer, évaluer, juger, prédire, etc. (Sacks, 1972, 1979). Elle organise ainsi la description du monde social et permet l’identification réciproque des personnes. Elle autorise des inférences prédicatives et définit des attentes normatives vis-à-vis de soi et d’autrui. Elle oriente moralement l’agir en commun et sanctionne la transgression. Elle est donc décisive dans la vie morale et pratique des institutions (Jayyusi, 2010). En décrivant comment la catégorisation ethnoraciale s’organise autour de considérations portées sur les pratiques langagières des minorisés, sur la mise en doute de leur loyauté vis-à-vis de l’école et dans les relations intrafamiliales, nous avons pu analyser la manière dont s’élabore la construction de l’altérité."

[...]

Voir en ligne : Lire l’article sur CAIRN (payant jusqu’en 2018)

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