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Du côté des professionnels de l’Ecole...

Enregistrer au format PDF  Version imprimable de cet article Version imprimablelundi 18 février 2013, par Réseau national de lutte contre les discriminations à l’école

Des différenciations passives [1]

L’enseignement, mais aussi la relation aux familles, présupposent souvent de tous ce qui n’est maîtrisé que par quelques-uns. L’indifférence aux différences, loin d’être un vecteur d’égalité de traitement, disqualifie peu à peu tous les élèves – et les familles – qui ne maîtrisent pas les normes scolaires ou qui ne réagissent pas conformément aux attentes implicites de l’institution et de ses agents. Ces normes scolaires, qu’elles concernent l’apprentissage, l’attitude à avoir à l’école ou l’implication des parents, ne sont pas ou peu explicites, voire même sont masquées par des normes affichées qui peuvent fonctionner comme des leurres.

A titre d’exemple, la croyance dans « l’équivalent-travail » [2] : les professionnels de l’école ont tendance à communiquer envers les élèves et leur famille en faisant comme si la quantité de travail fournie amenait forcément en soi de la réussite dans les apprentissages, et réciproquement comme si les mauvais résultats scolaires s’expliquaient par le manque de travail de l’élève (remarque qu’on retrouve un nombre incalculable de fois dans les appréciations des bulletins scolaires). On a une norme « visible » concernant le travail, qui masque une norme « invisible » sur ce qui réellement permet un travail scolaire efficace (comprendre, mettre en relation avec d’autres savoirs, etc.). Le caractère invisible et implicite de ces normes fait qu’elles ne sont ni discutées ni travaillées avec les élèves et les parents, de sorte que seuls ceux qui partagent l’implicite s’en sortent.

Des différenciations actives [3]

A l’école, toutes les situations où des professionnels différencient leur enseignement, établissent un jugement ou une évaluation sur un enfant, sanctionnent des comportements, organisent des groupes, décident des passages, des redoublements ou de l’orientation vers les dispositifs de remédiation, proposent des orientations, mais aussi toutes les situations où ces professionnels sont en interaction avec les parents, sont potentiellement discriminatoires. Ce sont en effet des formes de tri ou de sélection, donc il s’agit de se demander quels en sont les motifs et quels en sont les effets.

Cela ne veut pas dire bien entendu qu’il ne faut pas évaluer, organiser des groupes ou avoir des pratiques différenciées : cela signifie que toutes ces actions professionnelles risquent d’être orientées notamment par des préjugés relatifs aux catégories sociales telles que la classe sociale, le sexe, la religion, la race ou l’ethnie supposée... Ce risque est accru quand les professionnels n’ont pas pris conscience qu’ils sont traversés par les préjugés que véhicule l’ensemble de la société concernant ces catégories.

Il ne suffit pas de ne pas penser à ces critères pour ne pas les mettre en œuvre à son insu [4]. De nombreux travaux montrent que ces stéréotypes et ces représentations sociales peuvent en réalité influer sur les attentes à l’égard des élèves et des familles, sur les façons de construire les classes, de noter les élèves, de les orienter, etc. [5]

A titre d’exemple, une étude récente [6] menée pendant deux ans auprès de classes de grande section de maternelle et de CP montre que des enseignants chevronnés n’apprennent pas certaines choses aux élèves qu’ils considèrent comme étant « en difficulté » alors qu’ils l’apprennent aux autres, et cela de manière complètement inconsciente. C’est un phénomène problématique en soi, mais il devient discriminatoire quand les travaux de recherche montrent que ces enseignants ont mis ces élèves dans la catégorie « en difficulté » en fonction de préjugés liés aux situations familiales, au sexe et à l’origine supposée... qui influencent la perception et l’évaluation des capacités et des résultats. Il y aurait donc discrimination inconsciente dans l’accès donné aux apprentissages, bien que le but soit d’aider les plus en difficulté...

Toujours à titre d’exemple, à l’autre bout de la chaîne, une autre étude [7] a montré que des discriminations fondées en même temps sur le genre et l’origine pouvaient avoir lieu dans les conseils de classe de fin de 3e au moment des décisions d’orientation : à résultats scolaires égaux, une fille vue comme d’origine maghrébine se verra plus souvent orientée en seconde générale qu’un garçon supposé de la même origine. Dans les propos des enseignants, on constatait la volonté de permettre à la fille de réussir des études pour échapper à un milieu familial qui « opprimerait » les filles.

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Voir en ligne : Pour aller plus loin, lire la présentation du livre "La construction des inégalités scolaires"

Notes

[1Les notions de « différenciations passives » et de « différenciations passives » sont empruntées à Jean-Yves Rochex. Voir notamment : ROCHEX Jean-Yves, « Au cœur de la classe, contrats didactiques différentiels et production d’inégalités », in ROCHEX Jean-Yves, CRINON Jacques (dir.), La construction des inégalités scolaires. Au cœur des pratiques et des dispositifs d’enseignement, éd. Presses universitaires de Rennes, 2011, pages 91-92 et la conclusion du même ouvrage, ROCHEX Jean-Yves, « La fabrication de l’inégalité scolaire : une approche bernsteinienne », notamment pages 176-178

[3Idem note n°1

[5AMIGUES René, BONNIOL Jean-Jacques, CAVERNI Jean-Paul, « Les comportements d’évaluation dans les systèmes éducatifs. Influence d’une catégorisation ethnique sur la notation de productions scolaires », in International journal of psychology, 10, n°2, 1975, p.135-145 ; ZIMMERMANN Daniel, « Un langage non-verbal : les processus d’attraction-répulsion des enseignants à l’égard des élèves en fonction de l’origine familiale de ces derniers », in Revue française de pédagogie , n°44, 1978, p.46-70 ; SIMON-BAROUH Ida, « Le stéréotype du bon élève "asiatique". Enfants de Cambodgiens, Chinois, "Hmongs", Japonais, "Laos", Vietnamiens et enfants eurasiens au collège et au lycée à Rennes », in Migrants-formation , n°101, 1995, p.18-45 ; CHRYSSOCHOOU Xenia, PICARD Maud, PRONINE Maroussia, « Explications de l’échec scolaire. Les théories implicites des enseignants selon l’origine sociale et culturelle de l’élève », in Psychologie et Education, n°32, 1998, p.43-59

[6LAPARRA Marceline, MARGOLINAS Claire, « Quand les maîtres contribuent à leur insu à renforcer les difficultés des élèves », in Rochex Jean-Yves, Crinon Jacques (dir.), La construction des inégalités scolaires. Au cœur des pratiques et des dispositifs d’enseignement, éd. Presses universitaires de Rennes, 2011. On peut voir une vidéo présentant ce travail de recherche sur le site de l’Université de Lorraine : Profession Chercheur Episode 8

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