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Un numéro de la Revue Française de Pédagogie s’intéresse aux descendants d’immigrés à l’école

RFP 191 | avril-mai-juin 2015

Enregistrer au format PDF  Version imprimable de cet article Version imprimablevendredi 15 avril 2016

Présentation du numéro "Les descendants d’immigrés à l’école, Destins scolaires et origines des inégalités" :

"Les débats sur les origines des inégalités scolaires entre les élèves descendants d’immigrés et les « natifs » restent vifs. Pour certains, les politiques de démocratisation de l’enseignement secondaire, telles qu’elles se sont développées dans les pays européens dès le milieu du XXe siècle, ont suffi à éliminer la spécificité des destins scolaires des descendants d’immigrés. Dans cette perspective, les inégalités résiduelles ne seraient que la résultante des conditions sociales d’existence de ces élèves, souvent plus défavorisés au plan économique et culturel. Pour d’autres, ces interprétations en termes de discontinuité culturelle ne suffisent plus à rendre compte de la réalité dès lors que, selon les indicateurs choisis et les données mobilisées, le handicap des descendants d’immigrés persiste à milieu social égal. L’origine des inégalités serait alors à rechercher du côté du système éducatif lui-même, de la nature de l’offre de formation adressée aux différents types d’élèves, de la ségrégation entre établissements scolaires. Ces discriminations systémiques relèveraient alors plus des politiques scolaires elles-mêmes que de la distance culturelle et sociale entre familles et école. Ce dossier est une mise en perspective de ce débat au travers de quatre contributions basées sur des données comparatives nationales et internationales. Elles proposent des analyses originales des destins scolaires des élèves issus de l’immigration pour identifier les origines sociales et scolaires des inégalités de réussite."

Sommaire

- Georges Felouzis, Barbara Fouquet-Chauprade. Les descendants d’immigrés à l’école. Débats, questions et perspectives
- Georges Felouzis, Barbara Fouquet-Chauprade, Samuel Charmillot. Les descendants d’immigrés à l’école en France : entre discontinuité culturelle et discrimination systémique
- Mathieu Ichou. Origine migratoire et inégalités scolaires : étude longitudinale des résultats scolaires des descendants d’immigrés en France et en Angleterre
- Ingrid Tucci. Analyse comparée des parcours scolaires de descendants d’immigrés en France et en Allemagne
- Marion Dutrévis. Menace du stéréotype et groupes ethno-raciaux minoritaires. Quel poids sur les performances des élèves ?

Extraits

Les descendants d’immigrés à l’école. Débats, questions et perspectives. par Georges Felouzis et Barbara Fouquet-Chauprade

“L’objectif de ce dossier de la Revue française de pédagogie est de confronter des analyses et des résultats empiriques autour de la question des descendants d’immigrés à l’école. Loin d’établir des certitudes ou de définir une unique piste interprétative, nous avons fait le choix de privilégier une mise en perspective de la question migratoire à l’école de façon à confronter les questionnements, comparer les résultats et tenter de repenser les catégories d’analyses. Un deuxième choix qui caractérise ce dossier est sa dimension empirique. Il s’agit de produire des résultats à partir de sources et de méthodes diverses, mais toujours dans la perspective de faire avancer la connaissance sur les inégalités de parcours et d’acquis liées à la condition migratoire. Ce dossier est donc construit dans une perspective comparative – au plan international et diachronique selon les contributions –, qui est un des moyens les plus puissants de dénaturalisation de l’objet de recherche en sciences sociales et de produire des résultats de recherche robustes.”

[...]

“En définitive, ces contributions ouvrent des perspectives d’analyses et de recherches sur l’école et les discriminations systémiques, notamment dans le cas français. Car la question de la nature de ces discriminations, de leur ampleur et de leurs sources reste posée. Si l’on suit Jencks (1979) et plus récemment Crahay (2012), il pourrait être pertinent de s’engager sur une analyse précise de l’offre de formation primaire et secondaire destinée aux élèves descendants d’immigrés et plus généralement aux élèves défavorisés. La qualité et la quantité moindre de cette offre de formation pourraient être au principe des inégalités d’apprentissage d’une ampleur considérable que l’on observe au sein même de l’école française.”

Les descendants d’immigrés à l’école en France : entre discontinuité culturelle et discrimination systémique. Georges Felouzis, Barbara Fouquet-Chauprade, Samuel Charmillot.

“Nous avons montré que les inégalités de compétence entre élèves natifs et non natifs ont non seulement fortement augmenté dans la décennie 2000 en France, mais surtout que la structure de ces inégalités a changé. Notre thèse est qu’il s’agit d’un phénomène de discrimination systémique qui n’est au demeurant que partiellement opposée à la théorie de la discontinuité culturelle. Car l’éloignement des élèves non natifs à la norme scolaire ne doit pas être compris comme la cause de leur relatif échec scolaire, mais comme une conséquence des discriminations qu’ils subissent.”

Analyse comparée des parcours scolaires de descendants d’immigrés en France et en Allemagne. Ingrid Tucci.

“Notre analyse comparative nous permet de tirer au moins deux conclusions en termes de politique scolaire. Premièrement, une forte différenciation des filières va de pair avec de fortes inégalités de parcours, et ce d’autant plus lorsque l’orientation des élèves a lieu tôt. Les inégalités ainsi produites peuvent néanmoins être atténuées en rendant possible le passage d’une filière à l’autre : moins les filières sont étanches, moins les choix et les orientations scolaires ont un caractère irréversible. C’est pourquoi il est important de mettre en place des filières permettant de stabiliser les parcours dans les phases de fragilité et d’éviter ainsi que les jeunes sortent du système scolaire sans qualification. Empêcher que de telles filières ne se transforment en voies de garage reste un défi. Par ailleurs, comme Cédric Afsa (2013) le montre pour la France, une phase de consolidation du niveau scolaire avant l’entrée en sixième est indispensable pour contrer le décrochage scolaire. Deuxièmement, une identification des mécanismes de discrimination institutionnelle est nécessaire puisque les inégalités scolaires sont également le produit de routines de travail et de logiques d’évaluation des performances des élèves fixées par l’institution. C’est d’ailleurs ce que Gomolla et Radtke (2009) ont montré dans leur étude en Allemagne. Ces pratiques émanant de l’organisation de l’institution désavantagent systématiquement les élèves issus des familles immigrées. Ainsi, les auteurs montrent que le critère de « bonne maîtrise de l’allemand » peut être durci dans le primaire de telle sorte que les élèves issus de familles non germanophones, turques en particulier, sont plus souvent envoyés dans des classes dites de préparation à l’entrée dans le secondaire. Ceci arrive en particulier lorsque les classes sont trop nombreuses puisque ce type de sélection permet de répondre aux exigences de l’institution (limiter le nombre d’élèves par classe dans le secondaire, par exemple). Par ailleurs, cette pratique de mise à l’écart du cursus normal, par l’institution, contribue à stigmatiser les enfants concernés et a des conséquences néfastes sur leur parcours scolaire.”

Menace du stéréotype et groupes ethno-raciaux minoritaires. Quel poids sur les performances des élèves ? Marion Dutrévis.

“La menace que le stéréotype fait peser sur les élèves d’origine ethno-raciale minoritaire constitue un obstacle parmi d’autres auxquels ils doivent faire face. Les nombreuses recherches sur la question montrent à quel point, en contexte scolaire, la présence le plus souvent implicite des stéréotypes confère aux évaluations et apprentissages un enjeu plus ou moins fort en fonction des groupes sociaux auxquels on appartient. Appartenir à un groupe minoritaire ne signifie pas forcément une stigmatisation pour les élèves. Dans certains cas, les stéréotypes sont positifs et permettent de ne pas souffrir d’une suspicion d’infériorité. Mais, dans la majorité des cas, l’inverse se produit, entraînant des effets délétères pour les élèves en termes à la fois de réussite et de bien-être. À long terme, on voit le coût associé à de tels processus. Les élèves sont susceptibles de limiter leur engagement dans certaines voies professionnelles qui leur semblent réservées à d’autres, voire de couper le lien entre l’école et eux et, par conséquent, d’abandonner leur cursus.”

[...]

“La menace du stéréotype, à elle seule, apparaît donc comme un phénomène coûteux pour les élèves. Malheureusement, elle n’est pas le seul vecteur par lequel les stéréotypes peuvent conduire des élèves à l’échec scolaire et/ou à une perte d’identification à l’école. Nombreux sont les travaux qui témoignent que les stéréotypes peuvent aussi nuire à l’expérience des élèves via les interactions élèves/enseignants par exemple.

À travers ces différents processus, il apparaît évident que le parcours scolaire des élèves ne reflète pas leurs seules compétences, ni leur seule motivation à réussir à l’école. Autrement dit, il convient pour les différents acteurs de ne pas faire une lecture des comportements, attitudes ou résultats scolaires guidés par un seul processus d’attributions internes : les difficultés rencontrées par certains élèves ne leur sont pas systématiquement imputables. Concernant les stéréotypes, connaître leur existence peut constituer une première étape pour en limiter les effets en étant attentifs à nos propres croyances ou encore aux images qui sont véhiculées à l’école comme ailleurs dans l’environnement des élèves. Au sein de l’école, il est possible de mettre en place des dispositifs plus équitables. C’est ce que suggèrent les derniers travaux présentés, qui nous permettent de conclure sur une note optimiste. Le contexte scolaire n’est – ou ne doit pas être – immuable. La littérature récente révèle qu’il est possible de créer des environnements scolaires qui, sans nuire à la majorité, peuvent permettre aux groupes ethno-raciaux minoritaires de vivre leurs expériences scolaires sans le fardeau supplémentaire que les stéréotypes font peser sur eux.”

Voir en ligne : Le numéro sur le site revue.org

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