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Le fonctionnement système éducatif

Enregistrer au format PDF  Version imprimable de cet article Version imprimablelundi 18 février 2013, par Réseau national de lutte contre les discriminations à l’école

Les professionnels de l’école ne sont bien sûr pas seuls responsables : ils agissent au sein d’un système scolaire qui produit et re-produit des inégalités, et qui ne les a souvent pas formés à voir et agir contre ces processus. Ce fonctionnement peut être discriminatoire par un double mécanisme : une exclusion progressive des élèves des groupes minoritaires vers les filières les moins valorisées et une sélection progressive des groupes dominants dans les filières d’excellence.

Mais quels sont les éléments systémiques qui favorisent la discrimination ? En voici quelques-uns :
- Une ségrégation spatiale de l’habitat qui se traduit par une ségrégation spatiale scolaire : il ne s’agit pas uniquement d’un effet de la structuration des espaces d’habitations ; les tracés qui constituent la sectorisation scolaire ne sont pas « naturels », ils sont le résultat des choix politiques et techniques des collectivités locales et de l’institution scolaire. Par ailleurs, l’école ne fait pas que reproduire une ségrégation préexistante, mais elle renforce ces mécanismes, par exemple dans la manière de gérer administrativement les dérogations [1]
- Une mise en concurrence entre les établissements qui les poussent à créer une ségrégation dans la constitution des classes : pour attirer les « bons élèves » (catégorie qui peut prendre en compte des dimensions ethniques, de genre et de classe sociale), on crée des filières « d’excellence » (classes européennes, bi-langues, à projet artistique et culturel, etc.) qui conduisent à créer des classes où ces élèves ne côtoient pas les élèves issus des quartiers populaires majoritairement issus de l’immigration [2].
- Un mode de recrutement et d’affectation des enseignants dont le critère principal est l’ancienneté : Les établissements situés dans les zones en difficulté se retrouvent avec des personnels majoritairement jeunes, avec une moindre expérience professionnelle, ce qui entraîne aussi d’autres effets pervers (taux de rotation important des personnels, peu de continuité dans l’élaboration et la mise en œuvre d’un projet pédagogique construit, perte de confiance des familles dans l’école,...). La présence d’enfants vus comme « issus de l’immigration » dans un établissement, traduite à mot couvert par les labellisations de l’institution (« Education Prioritaire », « zone violence »,…), leur fait perdre de la valeur dans le « quasi-marché » des mouvements des personnels de l’Education Nationale [3].
- Un mode de travail et d’organisation qui isole les enseignants dans le huis-clos de leur classe, au détriment du travail d’équipe et des régulations collectives : par exemple, une étude sur l’orientation des élèves vers les dispositifs de remédiation a montré que le signalement par les enseignants anticipe « l’échec scolaire » des enfants d’immigrés, mais que cela était relatif au degré de coopération dans les équipes ; le déficit de coordination au sein des équipes tendrait à favoriser la régulation des problèmes par des processus d’ethnicisation et d’externalisation des publics [4].
- Une externalisation du travail personnel par le biais des devoirs à la maison qui favorise les élèves des familles les plus à même de les accompagner et/ou de financer un accompagnement par un tiers [5].
- Les lacunes de la formation initiale principalement centrée pour le second degré sur les savoirs disciplinaires universitaires et très peu sur la didactique et la pédagogie : cela favorise la reproduction de certaines formes d’enseignement qui se préoccupe moins des problématiques d’apprentissage et qui favorisent les élèves dont la culture familiale ou les expériences sociales sont en connivence avec la culture scolaire.
- Une pédagogie « invisible », à travers laquelle la particularité des tâches scolaires d’abstraction (je fais mais ce qui importe à l’école est ce que j’apprends quand je fais) sont rarement explicitement travaillées avec les élèves pour apprendre la réflexivité et construire les savoirs en jeu dans ces tâches : cela favorise ceux qui ont déjà acquis l’exigence de cette réflexivité dans leur famille au détriment des autres [6].
- Une utilisation de l’écrit différenciatrice : l’écrit qui a dans la société une fonction d’assignation à une place sociale [7] (ceux qui maîtrise l’écrit sont ceux qui sont en position de domination) devient dans l’école un outil de sélection. L’apprentissage de l’écrit est largement centré sur le code normatif de l’orthographe. L’écrit est le plus souvent une dictée ou une copie de l’écrit de l’enseignant et l’écrit de l’élève n’intervient que lors de l’évaluation sommative. Les fonctions de l’écrit liées à la construction de la pensée ne sont que rarement explicitement enseignées. Encore une fois, cela met en situation d’échec les élèves qui ne construisent pas ces fonctions dans leur milieu familial [8].
- Un système d’évaluation qui sanctionne l’échec et renvoie à l’élève la responsabilité de cet échec. Au delà des biais dans la notation liés aux représentations de l’enseignant sur les élèves (préjugés liés au sexe, à la classe social ou à l’origine supposée qui influent sur la notation), l’insistance sur la notation amène chez les élèves une mécompréhension de ce que nécessite l’apprentissage (se tromper, comprendre son erreur, faire une nouvelle tentative). Elle soutient par ailleurs des logiques de concurrence entre élèves, qui préfigurent la sélection institutionnelle. Le décalage d’attentes et de compréhension entre certaines familles et l’école à ce propos justifie la disqualification de ces familles, qui se voient chargées de la responsabilité de « l’échec » [9].
- Une centration différenciée sur les problèmes de « comportements » : plus l’élève est perçu comme « loin de l’école », plus on fait preuve envers lui d’un cadrage fort sur son comportement et d’un cadrage faible sur les apprentissages [10]
- Un mécanisme d’orientation qui fait de l’école un vaste système de tri social [11] : la hiérarchie des filières et des établissements, couplés avec les attendus d’insertion à l’égard de l’école, accentuent les logiques de ségrégation qui sont souvent lues comme résultant du « choix » des familles. En effet, pour accéder aux filières d’élite, la distinction commence en amont : il faut choisir la « bonne » école (et donc le « bon quartier »), puis le bon collège, avec les « bonnes » options qui permettent d’être dans la « bonne » classe, et ainsi de suite. Avec, en bout de chaîne, une ségrégation extrême, entre d’un côté dans des « grandes écoles » où la grande majorité des élèves correspondent au profil des garçons, « blancs », issus des classes sociales les plus favorisées, et de l’autre côté une forte concentration des élèves « issus de l’immigration » et enfants de classes populaires dans l’enseignement professionnel.

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Notes

[1VISSAC Georges, « La ségrégation scolaire à l’œuvre : carte scolaire et dérogation dans les collèges de l’agglomération lyonnaise », in Bertheleu Hélène (dir.), Identifications ethniques. Rapports de pouvoir, compromis, territoire, éd. L’Harmattan, 2001, p.77-95 ainsi que LAFORGUE Denis, Ce que la ségrégation scolaire doit à l’administration de l’Éducation Nationale, revue française de pédagogie n°148, 2004

[2PAYET Jean-Paul, Collèges de banlieue. Ethnographie d’un monde scolaire, Paris, Méridiens-Klincksieck, 1995

[4BENISAHNOUNE H., « L’enfant en "échec scolaire" dans deux équipes éducatives, in Martin Daniel, Royer Paul, L’intervention institutionnelle en travail social, L’Harmattan, 1987, p.72-93

[7GOODY Jack, Pouvoirs et savoirs de l’écrit, coordonné par J.-M. Privat. Paris 2007 La Dispute

[10BERNSTEIN Basil, Pédagogie, contrôle symbolique et identité, Traduction française de Ginette Ramognino le Déroff et de Philippe Vitale, Laval 2007, Presses Universitaires de Laval. Il y montre notamment comment le discours pédagogique articule de manière différenciée le « discours instructeur » et le « discours régulateur » pour re-produire la hiérarchisation des catégories de classes sociales, de races, de sexe ou de religion dans l’espace scolaire.

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